Nul n’est une île…

J’arrive de Cuba, une île magnifique que je commence à mieux connaître puisque j’y suis allée plusieurs fois. Bien sûr, j’y vais pour la mer, cet eau secours qui me berce et me soigne, pour le le soleil, l’exotisme, la flore, la faune (le paradis se trouve sous mon masque Cubaet mon tuba, dans la fleur de bougainvillier rose qui brille sous le ciel bleu azur). J’y vais pour les gens charmants, chaleureux, festifs, et pour le ressourcement, mais aussi parce que j’y ai développé des liens avec ce peuple si chaleureux et résilient que sont les Cubains.

Et à chaque fois, je vois de plus en plus ce qui se trouve sous le soleil de carte postale, l’envers de la médaille. La pauvreté, la liberté entravée, la prostitution des jeunes filles, le manque de tout, de l’essentiel pour ceux qui n’ont pas de famille à l’extérieur du pays ouCuba qui ne côtoient pas les touristes de près.

Je suis touchée par qu’ils vivent, même s’ils nous cachent souvent le plus difficile, par dignité, par fierté et des années de silence forcé. Cette fois-çi, forcer à l’immobilité par une blessure au dos, il m’est apparu avec encore plus de force le contraste entre les touristes qui nagent dans l’abondance et ceux qui les servent et voit à nourrir leur appétit insatiable. J’ai vu des assiettes à moitié pleines laissées sur les tables, des assiettes qui seront jetées aux poubelles par ceux qui peinent à remplir les leurs. J’ai vu des gens tellements coupés de leur feu sacré, qu’ils se laissent littéralement rôtir par le soleil sans en ressentir la brûlure. J’ai vu des assoiffés s’enivrer d’alcool et de nourriture sans jamais étancher leur faim ni leur soif. Le manque de conscience et d’âme des Occidentaux m’a fait autant, sinon plus mal, que le manque d’avoir des Cubains.

Durant mon séjour à Cuba, me sont revenues des réflexions de l’Abbé Pierre, un prêtre français, mort à un âge avancé voilà quelques années. Un homme inspirant, qui a mis toute sa vie au service des pauvres, des petits, mêlant au quotidien dans son action : appel à la solidarité, compassion, don de soi et indignation. Un homme qui ne souhaitait pas seulement aider les pauvres, mais qui voulait plus de justice sociale, plus d’équité entre Cubariches et pauvres, et qui s’est battu toute sa vie pour ça. Ses actions m’ont souvent touchées et je ne suis pas la seule puisque, pendant 17 ans, il a été nommé la personne publique la plus aimée des français, jusqu’à ce qu’il demande à ce que son nom soit retiré de la liste pour laisser la chance à d’autres de remporter ce titre. Or, l’Abbé Pierre a porté tout au long de son engagement, à la fois une question et un dicton. La question: « Et les autres ? » Le dicton : « Servir avant soi celui qui a moins que soi. » Celui qui a moins de talent, d’argent, de ressources, de santé, de foi, d’espoir, de confiance…

Cette question, ce dicton me rejoignent et sont revenus avec force pendant mon séjour sous le soleil. Ils sont revenus avec d’autant plus de force qu’à mon retour, j’assiste de nouveau à des coupures et fermetures de services essentiels, sous couvert d’austérité, mais pour servir encore une fois des intérêts mercantiles d’une poignée de personnes richissimes. Je me demande de plus en plus comment, dans un contexte de mondialisation des marchés, centré sur le profit et la compétitivité, dans un système qui exploite la terre et les personnes, qui génère de plus en plus de pauvres, de personnes exclues, comment rejoindre les petits, les laissés-pour-compte, comment faire une différence ? Ce n’est ni la première et sûrement pas la dernière fois que ces questions me taraudent, compte tenu de l’état actuel du monde, de mon ouverture et ma sensibilité à l’autre et au vivant dans son sens large.

Par bonheur, et par chance pour ma santé mentale, une partie de ces questions trouve encore une réponse dans mon engagement au quotidien. Comme mère, grand-mère, herboriste, jardinière, intervenante, directrice d’un organisme communautaire en milieu défavorisé, la vie m’offre de multiples opportunités de servir et de rendre une partie de ce que j’ai reçu en dons et en abondance.

CubaN’empêche, ce périple à Cuba, aussi court soit-il, m’a rappelé avec force que nul n’est une île, que nous sommes tous et toutes reliés les uns aux autres et que, comme occidentaux riches de nos savoirs et de nos avoirs, comme femmes et hommes habités, conscients, nous avons une immense responsabilité.

 

Nous pouvons faire une différence, dans nos communautés, dans nos réseaux respectifs, partout où nous nous trouvons sur cette magnifique petite planète. Nous sommes à une époque où chaque geste compte. citationLa conscience sans action ne suffit pas et mène à l’impuissance et pire encore à la résignation. Moi-même, je ne sais pas toujours comment assumer cette responsabilité (si vous avez des idées, elles sont les bienvenues)́, et j’ai parfois envie de baisser les bras, mais je persiste et je signe.

MR/2015

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