« Vous serez libres en vérité non pas lorsque vos jours seront sans un souci et vos nuits sans un désir et sans une peine, mais plutôt lorsque ces choses enserreront votre vie et que vous vous élèverez au-dessus d’elles nus et sans entraves.» Khalil Gibran
Lorsque je pense à mes enfants et à mes petits enfants, je ressens l’attachement profond qui me relie à eux. Quelque chose de viscéral qui m’habite et qui fait que je reçois souvent dans tout mon être et souvent avec la même puissance, ce qui les enchante et les rend lumineux que ce qui les rend malades ou souffrants. Paradoxalement, cet attachement qui nous lie et nous relie est une grande source de joie dans ma vie, mais peut aussi être source de stress et de tristesse si je n’y prête pas attention…
C’est en bonne partie et en raison de la force de cet attachement, que j’apprends et expérimente, depuis la naissance de mes enfants, l’inverse, c’est-à-dire le détachement. La position de grand-mère m’aide dans ce processus puisqu’elle appelle un rôle différent. Je ne sais plus qui me disait que le feu de la ménopause sert en bonne partie à consumer la mère, celle qui porte, physiquement et psychologiquement les enfants pour passer au rôle de grand-mère, celle qui accompagne et qui veille… Pour ma part, cela a donné du sens à ce passage pas si simple et qui s’échelonne sur quelques années.
J’aime bien l’allégorie suivante, illustrant bien les rôles de chacun selon les étapes de la vie: des enfants s’amusent dans un lac, librement, sans peur, leurs parents sont dans l’eau avec eux et les grands-parents sont assis en silence sur la berge. Les parents tentent d’éviter que les petits ne perdent pied, certains les portent, d’autres les soutiennent à bout de bras, d’autres leur enseignent à nager. Les grands-parents, quant à eux, veillent sur la berge, intervenant peu, accueillant l’un avec tendresse, encourageant l’autre pour lui donner confiance, conscients de la force de vie qui nous habite et de l’inéluctable fait que chacun doit apprendre à nager, à son rythme et parfois au prix de quelques bouillons. Ainsi va la vie!
Je suis touchée profondément chaque fois que je raconte cette histoire, étant moi-même à l’étape de la grand-mère, me promenant entre la confiance acquise au fil des années et des expériences et pourtant, parfois encore prise dans le rôle de la mère qui s’inquiète, prête à se jeter à l’eau au moindre cri. Le feu de la ménopause n’en est pas complètement venu à bout. Il faut dire que venant d’une famille nombreuse, j’ai pris petite, comme beaucoup de femmes de mon âge, le rôle de la fille aidante, secourant tout un chacun, prête à sauver toute personne en détresse. Aujourd’hui, je fais la paix avec ce personnage développé toute petite, qui m’a permis de me sentir utile, aimée, inclue et je reconnais en cela la débrouillardise de l’enfant que j’étais.
Cela dit, la sagesse en plus et la fatigue aidant, je sais que ce personnage ne m’est plus d’aucune utilité. Je le sais d’expérience, je connais le prix à payer pour soi et pour les autres lorsque nous prenons la responsabilité de la vie, d’une organisation, d’une émotion ou d’une souffrance de quelqu’un d’autre sur nos épaules. Je le sais intellectuellement, physiquement et cellulairement, ce qui ne veut pas dire que le processus de changement soit plus rapide, il est juste plus conscient. Bouddha disait: « Je vous ai dit que ce serait simple, je ne vous ai pas dit que ce serait facile ».
Ce changement de perspective, de rôle, ce nouveau positionnement sont à l’oeuvre dans toutes les sphères de ma vie, c’est un nouveau chemin que je marche. Et comme tout nouveau sentier à explorer, cela me demande de la présence et de la vigilance puisque je ne connais pas à l’avance les détours du tracé. Je mets aussi à l’épreuve ma patience et mon humilité, puisque je tombe, je suis maladroite, je me prends les pieds dans les souches, me retrouvant de temps à autre, cul par-dessus tête, un peu sonnée par la chute. Enfin, j’ai besoin d’une bonne dose de détermination, il en faut beaucoup pour mettre en oeuvre un changement durable, puisque se transformer c’est aussi perdre ses anciens repères, faire face à des peurs, des pertes, etcétéra, cétéra. Ce qui est formidable cependant, lorsque l’on ouvre de nouveaux sentiers à plus de 50 ans, c’est que l’on sait que le chemin est aussi, sinon plus important que le résultat. Par conséquent, j’ai de plus en plus de compassion pour la femme en marche que je suis et de ce fait pour tous les petits et grands autour de moi.
J’aime être grand-mère, je suis heureuse d’être entourée d’enfants. Il me touche, j’aime être avec eux et j’aime la candeur et la magie qui les habite. J’aime que l’on mette des morceaux de chocolat et de verres brillants au jardin pour les fées et espérer leurs venues, j’aime les consoler sans restreindre leurs peines et accueillir tout ce qui est en eux et autour d’eux, j’aime attendre leur sommeil, respirant doucement avec eux, j’aime leur rire en cascade qui rend le cœur si léger. Ce sont des porteurs et des révélateurs de beauté, de pureté et d’innocence. Ils nous ramènent à cela, il me ramène à cela, il me ramène à moi. C’est un grand cadeau et un grand privilège!
Parole de grand-mère.
MR/2014
Merci pour ce beau partage, qui me touche aussi en tant qu’homme et pas encore grand-père, et me donne le goût de cette maturité dans ma propre vie. Je reste avec les paroles de Khalil Gibran qui ouvrent cet article et l’éclairent dans sa profondeur…
Il y a tant de sagesse de grand père en toi…
J’aime beaucoup pour être moi même grand-mère je me retrouve dans vos mots sans être bonne pour les dire de votre façon… Très bien écrit j’adore!!
Merci à mon amie Judith pour l’avoir partagé ce qui m’a permis de vous lire…
Merci, il me fait vraiment plaisir de vous rejoindre dans l’invisible avec mes mots. C’était l’objectif de ce blog, partagez ce qui nous relie tous, notre humanité…