La semaine dernière, j’étais dans un passage sinueux et comme Amala et toi avez été des références pour donner du sens à cette grande quête qu’est la vie, je vous ai interpelées. J’avais besoin de vous savoir là, tout près, je vous ai alors fait une demande frivole. Je vous ai demandé, comme preuve de votre présence, de me faire voir des girafes au courant de la journée, pas des éléphants ou des chats, trop simple, il y en a partout. Alors que des girafes, ça ne se trouve pas à tous les coins de rue. Dix minutes plus tard, je me retrouve lisant « La Presse » devant une photo d’un troupeau de girafes. J’ai tant ri devant votre joke astrale, en même temps que j’étais totalement sidérée par la vitesse d’exécution. Il semble que là où vous êtes le temps voyage à la vitesse de la lumière.
J’ai ressenti tant d’amour et de complicité dans ce coucou cosmique, je vous entendais rire avec moi. Parfois lorsque nous tendons notre cœur vers ceux que nous aimons et qui sont partis, il agit comme un pont sur lequel nous nous rejoignons. Moment béni. Love, love love! Cette chanson qui est à tout jamais la tienne Paula et dans laquelle tu danses chaque fois qu’elle joue. Tu souris et ouvres tes bras / ailes et te mets à danser, virevolter, balance aérienne et gracieuse que tu es.
Ainsi, je te salue ma mie, ma sœur, mon amie comblée de grâce. Je prends encore plus conscience avec votre départ, de tout ce que contient le mot relier. J’avais déjà touché à cela, seule au fond du canyon, je me sentais complètement connecté à tous ceux que j’aimais dans le visible et l’invisible. Grand paradoxe, être seule et pourtant unie, liée par tous les fils d’amour tissés sur la trame du temps. À nous voir tous reliés, connectés, touchés, associés, unis, liés à toi ma belle Paule, je ne peux que m’incliner devant la grande tisseuse que tu as été pour tant de chercheurs, de quêteux de sens, apprentis perceurs de mystères que nous sommes. Ainsi, je te porte, te berce, te chante, te louange, te marche et chaque pas fait avec toi, te célèbre. Paule, Paule, Paule.
Paule l’enseignante, l’intellectuelle, la chercheuse, l’érudite, tu nous auras initiés avec audace, intelligence et inventivité, aux enseignements de maîtres et grands penseurs, comme nulle autre avant toi au Québec. Ainsi, Rumi, Bly, Hillman, Osho, Campbell, Clarissa, Malidoma et tant d’autres auront nourri nos psychés affamées, façonné nos imaginaires, nourri nos consciences et guidé nos quêtes. Comme j’ai aimé ces moments intenses où nous cherchions des voies de passage pour HO, ton école, que tu as porté comme une mère porte son enfant, avec amour, intensité, force, attachement, tendresse et passion.
Paule, l’ardente, la charismatique, la fervente, la pieuse rieuse, car tu as toujours abhorré la piété morne et austère, de même que le prêchi-prêcha et la spiritualité rose bonbon cucul la praline. Pour toi ferveur et rigueur ne s’opposent pas, tu es beaucoup trop intelligente pour les recettes toutes faites. Tu as compris que ce qui s’enseigne doit passer par le cœur et le corps pour s’incarner et s’offrir en partage. Ainsi, rire, délire, chant, danse, allégorie, histoire, conte, légende, mythe, transe, pantomime, farandole, marche, méditation, fabrication d’autel se sont donnés rendez-vous dans de grands rituels pour apporter joie, délice, profondeur, lucidité, élan, paix et gaie-rison. Quel privilège que d’avoir goûté et s’être délectée à ta médecine, à votre médecine puisque Gordon et toi êtes inséparables.
Ce qui m’amène à Paule l’amoureuse, comme tu l’aimes ton Gord, cet homme de silence, cet arbre pilier contre lequel tu t’adossais. Tu m’as dit un jour que j’étais une grande amoureuse et
je t’ai cru puisque cela venait de toi, grande amoureuse devant l’éternel. Nous avions reconnu nos histoires respectives, femmes fortes et fragiles qui ont trouvé un port où accoster. J’aime voir de grandes histoires d’amour à l’œuvre, de celles qui nous passent au travers, nous
déforment et nous transforment au passage. Lorsque Gordon était près de toi, l’amour était là et se déployait devant nous. Un souffle, un regard posé sur l’autre, le bien-aimé qui vient l’espace d’un instant, nous habiter. Il faut être brave pour dire oui aux grandes histoires d’amour, ces traversées épiques où s’entremêlent les tempêtes, les écueils, les naufrages, les accalmies, le repos, la douceur et l’apaisement qui vient du simple bonheur d’être aimé.
« Keep the flame alive », nous disais-tu! « On peut refuser l’Appel, mettre la télé ou la radio plus fort, s’accrocher au familier. Cela veut dire alors, que l’on accepte de vivre plus petitement que ce pour quoi nous sommes nés. C’est sans merci! J’en ai vu devenir durs comme des pierres dehors, alors qu’en dedans ils étaient un sac de larmes. »
Je suis heureuse de t’avoir vu et reçu à la fois dans ta grandeur, ta splendeur et ton humanité. L’humilité est une preuve de grandeur. Lors de notre dernière rencontre, que nous avions portée l’une et l’autre bien avant qu’elle n’ait lieu, tu nous avais rêvé sœurs, nous avais vues petites, priantes et ferventes dans un temps ancien. Côte à côte, nous nous sommes chuchotées ce qui devait l’être pour cueillir le cadeau de notre relation sans en occulter les failles et les projections. Nous nous sommes dit des choses importantes que je garde pour moi par pudeur et par humilité. Nous avions reconnu, il y a longtemps en Arizona que nous étions faites du même bois, celui qui semble fragile, délicat de par sa sensibilité, mais qui tire sa force et sa profondeur de cet amalgame. Ainsi, sur près de 30 ans, tu m’auras fécondé, accompagné dans la mise au monde de la femme que je suis et laissé prendre totalement mon envol, reconnaissant ma fertilité et mon désir de liberté.Tu nous voulais égales, deux reines de cœur fécondant leurs royaumes. Pour cela, je te suis éternellement reconnaissante. Tu me lisais, tu voulais que je publie, me présentant comme une écrivaine, me confirmant dans ce que je porte de précieux et d’abondant. Je t’en ai fait la promesse, je la tiendrai.
Tu as eu la grâce et la bonté avant ton départ de compléter ce qui devait l’être avec de nombreuses personnes, offrande vivante qui permet de guérir les blessures et de cueillir l’héritage. Jusqu’au bout, tu t’es offerte avec l’aisance et la prodigalité de celle qui n’a plus rien à perdre et tant à apporter. Je n’oublierai jamais « L’ombre du guérisseur », le dernier atelier que
tu nous as offert tremblante et lumineuse, monumentale, immense et fragile, nous avions tous et toutes l’impression d’être au cœur d’un fabuleux cadeau, tu incarnais complètement tous tes enseignements. Tu as symbolisé intégralement les 3 royaumes, la déesse descendue dans la matière. Comme tant d’autres fois avec toi, je suis revenue d’exil et ai retrouvé le paradis perdu. Quel bonheur nous avons eu à apprivoiser nos ombres, à les reconnaître, les grignoter, les chevaucher, les embrasser pour les épouser et les voir se transformer, parce que tout ce qui est aimé se transforme et nous métamorphose. C’était ta science, ton expertise, la somme de tous tes savoirs et de toutes tes expériences, celui de rendre jubilatoire le travail de transformation et d’éveil.
Merci Paule, pour l’enchantement et la « ride » mythique, étonnante, bouleversante, jouissive, démesurée, douce, simple, intense, colossale. Nous étions des saltimbanques, passant par la danse, le chant, les contes pour fabriquer de l’âme, des « soul worker » disais-tu, tu nous voyais et nous voulais davantage artistes que psychothérapeutes. Tu nous as appris à marcher entre les mondes, à mythologiser plutôt qu’à pathologiser. « C’est l’intensité du désir qui fait tout le travail. Expérimentez comme leader de fermer les yeux, de vous laisser couler dans l’abîme et d’attendre que quelque chose se présente », nous as-tu dit cette fois-là, tout en le vivant en direct devant nous.
Dans les derniers temps avec toi, lorsque tu nous infusais de ta médecine, j’avais l’impression de voir une prodige à l’œuvre, d’avoir accès à toute une vie de recherche et d’expérimentation. C’était d’une infinie beauté et d’une richesse incalculable. J’en mesurais à chaque minute le privilège. Avec toi, j’ai non seulement appris à danser sur du vide, mais à trouver cela infiniment bon. Plus important encore, tu nous apprenais comment s’approcher de la mort, paisible et intensément vivante. À l’écrire j’en reçois encore le cadeau et je suis sans mots, empreinte d’une profonde gratitude.
Quel héritage tu laisses. Tu auras veillé jusqu’à la fin pour t’assurer du legs et tu as réussi. Les héritiers sont nombreux, forts et porteurs de tes savoirs, de ta sagesse, de tes enseignements, de ton art. Je suis HO, combien fière, d’avoir été formé à ton école. Tout ce que je suis t’en est infiniment et éternellement redevable.
Ho!
Manon Rousseau / 13 avril 2018
Merci Manon. Right in the heart. Ho !
Ma chère Manon! Quel texte magnifique et inspiré! Je pourrais marcher dans tes mots tellement ils me touchent et parlent de tout ce que mon âme a reçu… Merci de partager ton précieux talent pour exprimer, fouiller et étaler dans toute sa profondeur et son extravagance le trésor transmis par Paule. HO bella!