Un pas sage

« Il est essentiel de prendre soin de ce que l’on semble vouloir éviter à tout prix.  Par exemple, on veut souvent éviter la maladie, pourtant c’est souvent elle qui nous empêche d’être trop complaisants.  On a peur de perdre quelque chose, mais c’est souvent par ce que nous perdons que nous trouvons ce que personne ne pourra jamais nous enlever.  Nous essayons de fuir la tristesse et la dépression, mais si nous affrontons notre tristesse, nous découvrons qu’elle parle avec la voix de notre plus profonde quête; et si nous y faisons face un peu plus longtemps, elle peut nous apprendre le chemin pour atteindre cette quête.  Dit autrement, vous êtes chanceux, chanceuses, si un jour vous parvenez dans un cul-de-sac total. » Peter Kingsley, In the dark places of wisdom, 1999)

Soi nier / gai rire.
Un nouveau passage s’ouvre devant moi, en moi, ma soixantaine naissante appelle d’autres lieux à habiter, la descente de la tête au cœur se fait chaque jour plus insistante. Ce n’est pas un choix, c’est un appel profond. Le travail qui m’a comblé depuis plus de 30 ans, m’ennuie et me rend souffrante lorsque j’insiste. Depuis plus de deux ans, j’ai tout de sortes de malaises, de signaux m’invitant à laisser aller ce grand pan de ma vie. C’est le processus que j’installe et accueille présentement. Mon corps me rappelle que ce que j’ai tant aimé ne me comble plus, plus important encore, m’épuise. Il y a une telle sagesse à l’œuvre pour nous indiquer la voie à suivre et une telle résistance à l’emprunter. Seule l’abandon, la confiance et la foi sans cesse renouvelées par des pratiques quotidiennes mille fois empruntés par l’humanité, me permettent d’entendre ce qui souffle et de le respecter.

Émotions et pratique spirituelle
Il en est de même avec les émotions. Comme j’ai davantage de temps, je le prends pour dénouer les nœuds qui me gardent encore dans certains patterns douloureux. Cela me demande humilité et acceptation. Soit d’accepter que malgré tous les chemins de guérison que j’ai expérimentés, des parties plus fragiles, le cœur de ma blessure surgit encore et me demande bienveillance, présence et attention. Ce faisant, je vois à quel point il faut de la justesse entre accueillir ce qui se déclenche émotivement et ne pas me prendre les pieds dans les fleurs du tapis.  Ainsi, lorsqu’une grande colère m’indique une limite à poser, cela semble simple, pourtant éprouver le feu de la colère, y demeurer, voir d’où elle vient, ne pas mettre la faute de ce que je ressens sur une personne ou un évènement déclencheur, ne pas laisser l’égo prendre le contrôle, accueillir l’émotion et la laisser aller, demande une sagesse que je n’ai pas toujours, mais à laquelle je m’exerce. Cependant, lorsque je m’égare, il m’est plus aisé de revenir sur le chemin, pas que je sois particulièrement douée, mais la pratique qui vient avec l’âge et mon profond et sincère désir de paix y concourent.

Se perdre en chemin pour se retrouver.
Au fond, peut-être est-ce nécessaire, nos passages et grandes traversées se font souvent sans indication et l’aiguille de nos boussoles intérieures s’agitent bien souvent avant de trouver la bonne direction ou mieux encore les bonnes directions, car à coup sûr, il n’y en a pas qu’une.

À preuve, cette semaine en acceptant la colère, (cette invitée qui n’était pas la bienvenue, j’ai toujours eu un peu peur de sa brûlure, de son côté sauvage et d’être consumée par elle), j’ai retouché à un besoin venu de loin. À une limite qui me parle d’amour de soi. Lorsque le feu m’a quitté et a délivré son message ardent, m’est venue un immense désir de paix, de ne pas en donner la responsabilité à quiconque et de la mettre en œuvre plutôt qu’à l’attendre. Je trouve qu’il y a un merveilleux mystère, dans le fait d’affronter et ressentir nos peurs et sentiments les plus profonds, de laisser aller tout ce que l’on sait, de s’abandonner à l’expérience, de se retrouver dénuder, priant et implorant de l’aide pour finalement se retrouver exaucer, en paix et en sécurité, dans cet espace sacré que rien ne vient troubler. S’abandonner à ce qui est, est imprévisible, parfois désordonné, périlleux et plein d’inattendus, mais dans le ralentissement, l’attention, la descente, l’intimité, nous touchons le centre de nous et de toutes choses et recevons de nombreuses bénédictions. La vie est si poétique, dans mes profondeurs, dans les ténèbres, j’ai retrouvé la lumière…

Être en relation est une médecine puissante, pas question de se sauver de nos misères et de nos enfermements. Nous pataugerons dans la boue à un moment ou un autre, c’est certain. C’est l’un des plus grands tremplins pour plonger au cœur de nos ombres et ainsi éclairer ce que nous avons laissé dans l’obscurité. Quoique nous fassions, la vie nous mettra face à ce que nous sommes, l’objectif étant pourtant fort noble, soit de grandir, se transformer, guérir et mieux aimer.

Chacun son chemin
Plus j’expérimente et honore mon chemin de vie, me vient encore l’envie de le partager, mais sans en faire une référence. Nous sommes si beaux dans nos différences et nos unicités, dans nos façons de créer le bonheur et nos fragilités. Ce qui me frappe toujours et je l’ai ressentie de nouveau dans un cercle de parole dernièrement, c’est que lorsque nous osons notre singularité, nous prenons conscience que nous sommes tous reliés dans nos humanités.

Dans ce temps de transformation, de plus grande vulnérabilité, en quête de nouveaux repères, j’ai besoin de soutien et d’accompagnement, de chaleur, d’apaisement, mais sans forcer ni pousser. Nul besoin de sauveurs ni d’experts qui savent mieux que moi et m’apportent des solutions sans que je ne les ait sollicités. Ce qui fonctionne pour moi n’est peut-être d’aucunes utilités pour vous et vice versa. Je vis ces processus de renouvellement en retrait, sans précipitation, en attente de quelque chose qui est à naître, telle une sage-femme au chevet d’une mère.

Je constate que les moments de transition dans nos vies, ressemblent à de grands ménages de printemps. Nettoyer, trier, jeter, récupérer, polir, embellir, une sacrée tâche. Un travail sacré qui demande du temps et qui à l’instar du ménage d’une maison, d’un jardin, etc, est un éternel recommencement.

Manon Rousseau / 20 janvier 2022

 

 

 

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