Chroniques à 4 mains # 4
Cette idée de chroniques à 4 mains, nous est venue, ma petite fille Océanne qui a 17 ans et moi, après une semaine de confinement suite à l’annonce du Coronavirus. Ainsi, le jour de mon anniversaire, Océanne m’a fait parvenir un mot, qui démontrait la force immense de la transmission lorsqu’elle est enveloppée d’amour et de tendresse. Ce mot m’est allé droit au cœur et m’a rappelé comment Océanne avait le don de l’écriture. Comme c’est un héritage familial que nous partageons, je lui ai proposé une chronique quotidienne, où chacune de notre côté prendrait le temps d’écrire autour des moments marquants, touchants, en ce temps de retrait et de temps pour soi que nous permet cette pandémie. Elle a accepté d’emblée et le soir même m’a envoyé son premier texte.
C’est ainsi, que nous chroniquerons ensemble sur la vie qui bat au temps du Corona. Cet amour de l’écriture qui nous lie et nous relie depuis toujours, trouvera ainsi un écho jusqu’à vous. Comme grand-mère, je suis honorée d’amorcer cette démarche de transmission à 4 mains et 2 cœurs. Lorsqu’Océanne écrira, ce sera sous les lettres OB, pour Océanne Barolet et MR pour moi, pour Manon Rousseau.
31 mars 2020
OB : Aujourd’hui, journée de prise de conscience pour les plus petits de la famille, puisque mes sœurs et mon frère sont encore jeunes et qu’ils ne comprennent pas tout ce que veut dire cette crise du Covid-19. Comme tout cela nous touche de près, il m’a semblé judicieux de les tenir informer de l’actualité. Nous avons donc écouté ensemble le film Contagion, un film merveilleux qui représente bien et avec réalisme la pandémie que nous vivons. Ils ont vraiment savouré ce film et cela leurs a permis de mieux comprendre ce qui se passe réellement à l’extérieur et pourquoi nous somme en confinement présentement. Maïka, qui se rapproche de ses 12 ans et entre au secondaire l’année prochaine (j’en suis très fière,) dans le but de l’exercer un peu, je lui ai demandé de faire des recherches sur ce virus afin qu’elle se prépare à son entrée au secondaire et pour bien se renseigner sur tout ce qui se passe, car elle est à l’âge de comprendre. Elle a tout de suite accepté l’idée et s’est mise en action. Ils sont tous très compréhensifs face à cette situation et je les trouve très matures sur ce point, bref, je suis fière d’eux!
MR : J’ai sauté 2 jours de chronique à 4 mains puisque j’ai beaucoup travaillé ces derniers jours.
Avec ma magnifique équipe de faiseurs de mondes meilleurs, nous avons vraiment le cœur à l’ouvrage et essayons de faire la différence pour tous les jeunes et les familles vulnérables avec qui nous sommes en lien habituellement au quotidien. Ce travail de tissage de liens à distance que nous faisons et que font beaucoup d’organismes communautaires actuellement, me touche et me fait voir que quelque chose de différent est à l’œuvre actuellement. Je regarde avec attention ceux qui sont au front, tant dans les organismes communautaires qui livrent des repas à domicile, préparent de la nourriture, que dans le milieu de la santé ou de l’alimentation et je me relie à eux empreinte d’une profonde gratitude pour leur dévouement plus grand que nature.
J’ai comme l’impression que nous sommes à écrire une nouvelle légende. Les légendes des anciens parlaient de respect de la terre, des animaux, de la nature, de solidarité, de reliance tant dans le visible que l’invisible. Ce que nous vivons actuellement a comme un goût de légende. J’ai lu ceci hier et cela m’a profondément touché, ainsi je te laisse sur ces mots pour retourner travailler, mais ils sont un parfait écho de ce que je ressens en ce moment et de ce que j’ai écrit de manière transversale dans plusieurs de mes chroniques. Je nous embrasse, je nous fais un énorme câlin et je nous aime. Ta grand-mère qui se relie à toi par tant de choses, dont cette chronique.
« Selon Alain Deneault, il se passe deux choses aujourd’hui. D’une part, une pandémie qui appelle à un discours épidémiologique, médical, sanitaire, social, rationnel. Et d’autre part, cette pandémie qui agit comme un déclencheur de l’esprit. Et on se rend compte que cette crise n’est pas la première liée à notre mode de vie. Il y a de plus en plus d’incendies de forêt, d’ouragans, de tsunamis qui nous touchent, la montée des crues est anormale, les forêts se réduisent, le sol s’érode, les glaciers fondent… On voit bien qu’il y a des problèmes majeurs qui sont liés à notre mode de vie et que le XXIe siècle sera l’occasion d’un changement de paradigme. Qu’on choisira ou qu’on subira. Mais il y aura un changement de paradigme. Il faudra vivre autrement. Le capitalisme tel qu’on le connaît ne pourra pas perdurer. Le mot économie ne pourra pas toujours signifier s’organiser pour aider des actionnaires à accroître leurs capitaux. On est dans un monde qui n’a pas du tout soigné son rapport au vivant, qui s’est pensé sur le mode du réseau au profit des plus forts et au détriment des plus faibles, et nous vivons le contrecoup de ce manque de sens économique au sens large.
Les mots sont importants. On a beaucoup parlé de la crise écologique comme étant quelque chose qui s’annonce, qui nous pend au bout du nez. On a parlé d’effondrement, de rupture. Ce choix des mots, qui a quelque chose de voisin de l’Apocalypse, nous amène à adopter une attitude attentiste par rapport à cette espèce de mur qu’on devra un moment frapper. Or, nous sommes déjà dans le processus depuis des décennies ! Les choses s’érodent, se corrodent, se désagrègent lentement. Maintenant. Pas dans 10 ans ou 15 ans. On est dans une logique du participe présent. Les choses vont en s’effondrant. Nous sommes d’ores et déjà dans un processus d’effondrement qui est plus ou moins perceptible au quotidien. Et qui le sera de plus en plus et de manières de plus en plus inquiétantes.
On voit bien que ce vaste capitalisme mondialisé avec des grandes multinationales puissantes, sont des géants aux pieds d’argile, qu’ils sont extrêmement fragiles, qu’ils sont tellement réseautés que le moindre soubresaut quelque part suscite par réactions en chaîne des bouleversements à l’autre bout de la planète. On éternue en Chine, et la planète est malade. Il y a un constat comme quoi ce régime-là a beaucoup de faiblesses. D’autre part, j’ai l’intime conviction que bien des gens qui actuellement souffrent de la situation, sur le plan psychologique, et aussi financier et matériel, je suis malgré tout convaincu que quelque part, en nous tous, y compris ceux qui souffrent, qu’il y a une sorte de satisfaction à voir tout un peu s’arrêter.
Nous sommes dans une société de performance, de burnout, de détresse psychologique, les gens
n’ont pas le temps de voir leur famille. En fait, les gens sont à bout depuis longtemps. Et puis là, on est forcés à une pause et quasiment à évaluer sa vie. La détresse au travail qui se manifeste par l’alcoolisme, par la prise inquiétante d’antidépresseurs, de psychotropes, l’insomnie chronique, les problèmes de suicides. On est dans des situations tellement aberrantes qu’une pause comme celle-là peut amener beaucoup de gens tout d’un coup à renouer avec l’essentiel. L’école à la maison, penser à un potager cet été, s’assurer que les voisins et les proches vont bien. Penser l’organisation des choses. On pourrait se découvrir des talents qu’on ignorait avoir ! Ce qu’on est en train de voir n’est pas la fin du monde, mais d’un monde? J’ai déjà dit à une amie inquiète pour l’avenir de ses enfants que, si ça se trouve, même si cet avenir est très difficile, ils seront plus en vie que nous l’aurons été dans notre confort angoissé. J’ai une vie de famille aussi, et j’ai vraiment foi en nos enfants, d’un point de vue collectif. Ils trouveront la force de se donner un monde qui leur ressemble. »
Manon Rousseau et Océanne Barolet