La vie au temps du Coronavirus # 5
Cette idée de chroniques à 4 mains, nous est venue, ma petite fille Océanne qui a 17 ans et moi, après une semaine de confinement suite à l’annonce du Coronavirus. Ainsi, le jour de mon anniversaire, Océanne m’a fait parvenir un mot, qui démontrait la force immense de la transmission lorsqu’elle est enveloppée d’amour et de tendresse. Ce mot m’est allé droit au cœur et m’a rappelé comment Océanne avait le don de l’écriture. Comme c’est un héritage familial que nous partageons, je lui ai proposé une chronique quotidienne, où chacune de notre côté prendrait le temps d’écrire autour des moments marquants, touchants, en ce temps de retrait et de temps pour soi que nous permet cette pandémie. Elle a accepté d’emblée et le soir même m’a envoyé son premier texte.
C’est ainsi, que nous chroniquerons ensemble sur la vie qui bat au temps du Corona. Cet amour de l’écriture qui nous lie et nous relie depuis toujours, trouvera ainsi un écho jusqu’à vous. Comme grand-mère, je suis honorée d’amorcer cette démarche de transmission à 4 mains et 2 cœurs. Lorsqu’Océanne écrira, ce sera sous les lettres OB, pour Océanne Barolet et MR pour moi, pour Manon Rousseau.
13 avril 2020
OB : Terminer son secondaire est une étape primordiale pour les jeunes de mon âge, mais pour les finissants de cette année rien ne se passe comme prévu. L’année a été interrompue abruptement pour moi et mes camarades. Nous sommes dans le doute et dans la peur, car personne n’aurait pu imaginer que ça se terminerait comme ça. Sans parler de la déception qui nous habite, on avait tellement de beaux projets et on attendait la remise des diplômes et le bal de finissants avec impatience…
On a travaillé pendant 12 ans pour y arriver, il y a eu des moments incroyables et d’autres plus difficiles, mais le bal de finissants était pour nous une façon de bien clore ces années de travail et tout cela s’est envolé. Nous sommes dans une phase où nous voulons passer du temps avec nos amies et vivre nos derniers moments du secondaire ensemble.
J’écris ce texte aujourd’hui pour démontrer que les finissants et moi-même, sommes inquiets avec ce coronas virus, comme vous tous, mais aussi pour notre année qui est en péril. Nous sommes dans l’insécurité, nous n’avons aucune idée de ce qui va se passer et comment tout cela va se terminer pour nous. Nous sommes nostalgiques aussi, de penser que nos derniers moments au secondaire ne seront ni le bal de finissants ni notre cérémonie de graduation, seulement un vendredi normal comme les autres avant l’annonce du covid-19. Bref, tous les finissants de secondaire 5 se rappelleront longtemps de cette fin d’année 2020 pas comme les autres…
MR : Je te comprends, je trouve que le bal de finissants est un rite de passage important qui vient clôturer ces 12 années d’engagement exigeantes et pas toujours simples. Tu te rappelles le nombre de fois où dans tes moments difficiles, je t’ai ramené à ce que disait ta tante Noémie au sujet du secondaire, que c’était un passage obligé où nous n’avons pas d’autres options que d’aller à des cours que nous n’avions pas choisis. Certains très intéressants certes, mais d’autres qui ne correspondent en rien à nos intérêts et talents, et ce, pour pouvoir choisir un jour une trajectoire qui concorde avec ce que nous sommes.
Tu l’as réussi ma chérie, non sans difficulté et c’est tout à ton honneur de t’être accroché malgré les embûches, l’ennui, les découragements, le goût de tout quitter et les amitiés éminemment plus intéressantes que tout le reste. Voilà pourquoi, même si je ne peux rivaliser avec un bal des finissants, j’aimerais qu’ensemble nous puissions créer un rituel qui viendrait honorer le chemin parcouru durant toute ta scolarité de primaire et de secondaire. D’ailleurs, tous nos rituels sont bousculés actuellement et tout comme toi, je trouve cela pénible. Je veux bien du télé travail, mais célébrer l’anniversaire de mes petits-fils sur Messenger et aller porter vos chocolats sur un balcon sans pouvoir vous embrasser, c’est lourd.
Le fait le plus cocasse de ce week-end est que lorsque nous sommes allés déposer vos cocos de Pâques, il y avait cette grande bernache au beau milieu de l’autoroute, qui ne s’est jamais tassée puisque nous étions la seule voiture. Nous avons donc fait une embardée pour l’éviter. Tout au long du chemin, nous regardions les stationnements déserts des commerces, puisque tout est maintenant fermé le dimanche et j’étais contente. Il y a longtemps que je souhaite que le dimanche soit un jour de repos, un jour où la relation prend le relais de la production, un jour de famille, de temps pour soi. Je suis toujours triste le dimanche de voir que la grand-messe se passe maintenant dans un Costco.
Mon souhait le plus important en ce moment, c’est que nous ne retournions pas à cette société de production qui jusqu’à maintenant a eu préséance sur la nature et par conséquent sur nous, puisque nous en faisons parties. Je nous ai vus, tous, adultes et enfants, si fatigués, pressés dans tous les sens du terme, déprimés, à boutte, pour tenter de suivre un rythme intenable dicté par les lois du marché. Je vous vois avec vos familles actuellement, prendre du repos, être ensemble, jouer, reprendre votre rythme normal, sortir de la course et de la frénésie de l’école, du travail et de la consommation et j’espère que quelque chose de tout cela demeurera.
J’espère que ce confinement nous réinventera. Ce qui est sûr, c’est que je ne suis pas la seule à souhaiter plus d’oiseaux et moins d’avions, des dimanches de repos pour les travailleurs et les familles, des jardins de fruits et de légumes dans chaque cour et que nos façons de travailler et notre rapport au temps soient repensés. J’écoutais la très sage et compatissante Régine Laurent, une infirmière d’âge mûre, qui se remémorait l’époque pas si lointaine où elle avait le temps le soir de donner des soins et de l’attention aux malades, elle concluait qu’évidemment, ils avaient moins besoin de calmant pour dormir. J’espère que dans le futur proche, nos dirigeants reconnaissent et soutiennent convenablement tous ceux qui donnent du temps et de l’amour aux plus vieux, aux plus jeunes, aux plus vulnérables. Je souhaite que la reprise économique ne se fasse pas au détriment de la solidarité et que nous trouvions des réponses collectives nouvelles et créatrices pour ré enchanter ce monde et ceux qui le construisent.
Océanne Barolet et Manon Rousseau