Que d’inattendu en cette vie, après une semaine de vacances, une semaine de liberté qui a rendu mon cœur et mon corps tout léger, je suis tombée et mon dos a rencontré le bol de toilette. Ainsi, en l’espace de quelques secondes, je suis passé d’un immense sentiment de liberté à un intense sentiment de douleur. Résultat de cette chute, 1-0 pour la toilette puisqu’en la rencontrant une de mes côtes s’est fêlée. Ainsi, depuis, je tente de trouver le rythme juste entre ce moment de repos forcé et la sève du printemps qui monte et m’habite. De toute manière, comme l’écrit si bien mon ami Jean, dans une chronique admirable, mise en ligne sur son blogue La voie du rêve https://voiedureve.blogspot.com/2019/04/le-regard-du-lion.html« La volonté de diriger les choses est une des premières choses à abandonner pour entrer sur les terres de l‘âme. La philosophie du voyage devient rapidement : « si cela se passe comme on voulait, c’est bien, et si cela ne se passe pas comme on voulait, c’est bien aussi ». Avec cette façon de marcher, on comprend que ce qui est, est toujours bien, qu’on gagne toujours à s’y accorder, à l’aimer. Alors, en aimant ainsi le chemin, le chemin nous le rend bien et nous aime en retour ».
Ainsi, me voilà à la clinique médicale, avec en main un tout petit livre pour passer le temps. Force est de constater que les tablettes et les téléphones ont remplacés les livres dans les salles d’attente. Bref, je me refais le cadeau de Khalil Gibran, puisque comme tous les gens de ma génération, j’ai lu Khalil Gibran, plus précisément « Le Prophète », lorsque j’étais jeune adulte. C’était l’une de mes premières rencontres avec le souffle du divin mais sans savoir le nommer. Aujourd’hui, je fais sa rencontre de nouveau, avec un tout petit livre qui se nomme « Le sable et l’écume ». Un livre comète puisse qu’il traverse nos noirceurs intérieures et les éclaire sur son passage. Je n’ai pu m’empêcher tout au long de la lecture de commenter certains passages en marge des pages, mais la plupart du temps, je me suis tu puisqu’il n’y avait rien à ajouter. C’est un livre d’aphorismes, qui sont en fait de petites citations, comme des haïkus japonais ou encore ce que devrait être les 140 caractères sur Twitter.
Un petit livre de grand bien, chacun devrait l’avoir tout près de soi. Il est presque impossible de beauté, de bonté et rempli de mystère à percer. Une bonté presque utopique à vivre mais qui vient apporter un surplus d’humanité. Il contient des murmures qui provoquent des frémissements d’âme et susurre bien après que nous ayons lu la dernière phrase. Certaines sont des cadeaux, qui contiennent plus de questions que de réponses et nous laisse l’esprit rêveur, voyageur. En voici quelques bribes, en espérant que leurs chants, aussi doux qu’une ritournelle d’hirondelles au printemps, résonnent en vous aussi :
J’en ai quelques favorites aurais-je envie de vous dire, mais je la cherche en vain, c’est que je les aime toutes. Mais en voilà quelques-une qui goûtent vraiment bon :
J’ai souvent eu recours à la haine pour me défendre, mais si j’avais été plus fort, je n’aurais pas employé une telle arme.
Il se peut qu’un homme se suicide en légitime défense.
La haine est une chose morte. Qui de vous voudrais devenir une tombe?
Un jour, j’ai parlé de la mer à un ruisseau et le ruisseau m’a pris pour un fabulateur. Un autre jour, j’ai parlé du ruisseau à la mer et la mer m’a pris pour un calomniateur.
Il se peut qu’un enterrement chez les hommes soit un banquet de noces chez les anges.
Une racine est une fleur qui méprise la gloire.
C’est l’honneur de la victime de ne pas être l’assassin.
Une fois, une seule, je n’ai su que dire. C’est quand quelqu’un m’a demandé : « Qui es-tu? »
Une perle est un temple construit par la souffrance autour d’un grain de sable. Par quelle nostalgie, nos corps ont-ils été construits et autour de quels grains?
Une de mes préférées : « L’étourderie est une forme de liberté. En ces jours de douleur, me prend l’envie soudain d’être plus étourdie.
Les esprits peuplant l’éther ne sont-ils pas jaloux de la douleur des hommes ?
L’envie de certains plaisirs fait partie de ma douleur, c’est étrange.
Sept fois j’ai méprisé mon âme :
La première, quand je la vis ramper afin de s’élever.
La deuxième, quand je la vis boiter devant les estropiés.
La troisième, quand il fallut choisir entre la difficulté et la facilité et qu’elle opta pour la facilité.
La quatrième, quand elle commit une faute et qu’elle s’en consola en pensant que d’autres aussi en commettent.
La cinquième, quand elle s’abstint par faiblesse et attribua sa patience à la force.
La sixième, quand elle méprisa la laideur d’un visage sans savoir que c’était l’un de ses propres masques.
Et la septième, quand elle chanta un hymne de louanges et s’en fit une vertu.
Certains d’entre nous sont comme l’encre, d’autres comme le papier. Sans la noirceur des un, certains seraient muets. Sans la blancheur des autres, certains seraient aveugles.
Notre esprit est une éponge, notre cœur un torrent. N’est-ce pas étrange que la plupart d’entre nous choisissent d’absorber plutôt que de couler?
La moitié de ce que je dis n’a aucun sens, mais je les dis à fin que l’autre moitié puissent t’atteindre.
Seuls les muets envient les bavards.
Il faut être deux pour découvrir la vérité : un pour la dire et un pour la saisir.
Il naît de tout Dragon, un Saint-Georges qui le tue.
La poésie n’est pas l’expression d’une opinion. C’est un chant qui monte d’une blessure qui saigne ou d’une bouche qui sourit
C’est en vain qu’un poète cherche la mère des chants qui habite son cœur.
Si tu chantes la beauté, même seul en plein désert, tu trouveras un auditoire.
Toutes nos paroles ne sont que des miettes tombant du festin de l’esprit.
La chanson qui repose en silence dans le cœur d’une mère chante sur les lèvres de son enfant.
Comment desceller mon cœur à moins de le briser?
Si elles n’étaient pas destinée aux hôtes, les maisons seraient toute des tombes.
Ceux qui te donnent un serpent alors que tu demandes un poisson n’ont peut-être rien d’autre à donner que des serpents. C’est donc très généreux de leur part.
Celui qui peut mettre le doigt sur ce qui sépare le bien du mal, peut toucher l’ourlet même de la robe de Dieu.
Voilà! C’est tout, c’est beaucoup. Et vous laquelle est venue vous faire de l’oeil, vous faire de l’âme?
Manon Rousseau / avril 2019
Mmmh ! Merci. Tous ces aphorismes m’ont touché, mais si je ne devais en retenir qu’un… bon deux… ce serait :
C’est l’honneur de la victime de ne pas être l’assassin.
Comment desceller mon cœur à moins de le briser ?
je te reconnais mon ami par ces choix… Quant à moi, mon préféré en ce moment même, en pensant à mon beau père mort il y a quelques jours : Il se peut qu’un enterrement chez les hommes soit un banquet de noces chez les anges.