Je ne sais rien, je pressens surtout. Je ne veux pas avoir raison sur rien et surtout pas sur vous, votre univers vaut le mien et vice versa. D’ailleurs, les discussions qui n’en finissent plus, où l’on tente de se convaincre les uns, les autres, pour se convaincre soi-même de la pertinence de son point de vue et ainsi ne pas avoir à vivre avec l’incertitude de ses doutes, me fatigue au plus haut point. C’est éreintant convaincre, en plus d’être terriblement ennuyeux et suffisant.
Par exemple, sur la question de Dieu, j’ai discuté tant de fois avec des athées dont les croyances étaient plus rigidifiées que celles de bien des croyants qui doutent. « Je crois que Dieu n’existe pas » est une croyance parfois portée avec un tel dogmatisme. Tenter de faire la preuve de Dieu, c’est le rapetisser à hauteur d’homme, principalement à hauteur de tête, surtout dans ce siècle où il faudrait en faire la preuve scientifiquement. Or, la preuve de Dieu ne se trouve pas sous le microscope, quoiqu’à bien y penser peut-être que oui, puisque la plupart du temps je le pressens dans l’infiniment petit…
C’est la nature qui m’a le mieux parlé de Dieu. Le printemps est la plus grande preuve de résurrection, surtout au Québec où chaque fleur d’avril est une parcelle de paradis. « Pourquoi ne nous dit-on jamais que la résurrection se trouve dès cette vie », dit Bobin et qu’un seul cardinal dans une tempête de neige peut nous sortir du marasme, ajouterais-je. Je ne sais pas si nous sommes éternels, ce que je sais, c’est que la beauté que je contemple se transfigure en s’éclipsant. Ainsi, une seule fleur de pommier m’a entretenu d’immensité et lorsque je l’ai vue tomber dans toute sa splendeur, elle m’a parlé de la pomme qu’elle serait et cela m’a réjoui.
Le cœur en feu du pavot rouge de mon jardin, complètement ouvert et abandonné dans le soleil du petit matin, me parle d’extase et me laisse muette d’admiration. Pourtant, je pressens que je n’ai pas tout saisi de l’extase qu’il murmure.
De même, la grenouille immobile qui semblait méditer sur une roche près de la piscine, contient tout un monde et me chuchote des choses que seuls les gens lents, très lents, peuvent encore entendre. C’est lorsque je suis fatiguée que j’entends le mieux. Dans ce monde qui va vite, la fatigue est une bénédiction, elle nous ralentit et nous permet de saisir l’essentiel.
Je m’imagine à une autre époque, lorsque nous devions tailler une plume d’oie, trouver un joli papier, prendre le temps pour trouver les mots justes dans le but d’écrire des billets doux et tendres. Je me vois cueillant les pétales de roses que j’aurais glisser au creux du papier pour dire encore plus joliment mes sentiments et ensuite attendre que l’amour voyage et me revienne mystérieux et plein de promesses.
Nous ne savons plus rien du temps qui passe et de sa lenteur. Nous ne savons plus lire les premiers rayons de soleil qui passent par la fenêtre pour nous réveiller paresseusement le matin. Nous nous levons presser, déjà fatiguer, le temps compressé du trop-plein que nous mettons dedans. Habitués, étourdis par la vitesse, nous nous brûlons pendant que notre feu intérieur se consume.
Ainsi, je rêve de lenteur, pour entrevoir toute la beauté contenue dans le temps qui passe. Ce temps qui s’étire et permet de rêver éveillé, celui-là même qui nous susurre des bribes d’éternité, que je pourrais tenter de traduire pour vous les partager.
Je ne rêve pas de safari en Tanzanie, ni de millions à dépenser, je rêve de creuser la terre de mon jardin à mains nues, d’y déposer les graines et les espoirs de radis, de poivrons et de tomates à venir. Je rêve de la boue sur mes genoux et de gouttelettes de pluie qui tombent sur mes lèvres.
Je rêve de rose, plus je vieillis plus le rose redevient ma couleur favorite, peut-être parce que c’est la couleur du couchant, celle qui décroît à la fin du jour pour aller se fondre dans l’infini.
Au fond, je rêve simple, je rêve doux, c’est peut-être mon rêve le plus fou.
Manon Rousseau / mars 2018
Très bon article!
Donc ça fonctionne mon cher neveu que j’aime!