Mon rapport aux mots se transforme, les mots forts, les mots vides, les mots dits, les mots pour vider comme on déverse un trop plein, ceux qui cherchent à convaincre, ceux qui saoulent, qui défilent sans respiration et sans inspiration, tous ces mots me fatiguent… Que ce soit moi ou d’autres qui les prononcent, l’effet est le même, la lassitude, le désintéressement, le désenchantement. Moi qui parle tant, j’aime de plus en plus le silence, le véritable échange, celui où je reçois autant que je suis reçu. Ces moments de grâce, inestimables, qui demandent du temps, de l’attention, de l’amour.
Ces moments de silence habités où l’on perçoit au cœur de soi la présence. St-François de Sales a dit que lorsque l’on commence à prier, Dieu est quelque part dans les cieux et que plus nous prions, plus il se fait proche, jusqu’à ce qu’il se trouve en nous et j’ajouterais que nous soyons en lui. Lorsque les mots se sont tus, qu’il n’y a ni prières, ni demandes, ni offrandes, qu’un espace vierge où le silence est aussi doux que le souffle du vent, le murmure de Dieu peut se faire entendre et venir nous féconder…
Chaque fois que j’écris sur cette relation que je nourris dans l’invisible, je me sens nue et vulnérable, parce que cette relation est de l’ordre de l’intime. Par conséquent je suis pudique à la partager, je ne cherche pas à l’exhiber… Cependant, force est de constater qu’elle m’habite, me transforme, me nourrit, m’ennoblit et cherche un chemin de paroles et d’écrits pour se dire. Peut-être est-ce là la juste fonction des mots, laisser dire ce qui est infusé de l’esprit, qui est porteur d’amour, de paix, de bienveillance, d’accueil, de beauté, de sens, de partage et tant de cétéra, cétéra. Le reste n’étant que du bruit, de l’étourdissement, du divertissement pour ne pas s’entendre.
Rien par la force, tout par amour, me murmure l’indicible et tout ce que je suis abonde en ce sens. Chaque fois que je tire, que je pousse, que je cherche à contrôler, que je vais au devant, je me fatigue. Ce qui me fatigue, c’est de vouloir. À l’inverse, ce qui m’enfante c’est la confiance qui mène à l’abandon, au oui. Dire oui à ce qui est, se détendre, ouvrir les mains, quel repos!
C’est le temps du carême et il était de coutume de jeûner il n’y a pas si longtemps. En ces temps de trop plein de mots, de bruits, d’intolérance, d’intellect, d’apparence, d’activité effrénée, il me semble bien avisé de se priver, de faire silence, de ressentir la faim que nul nourriture ou boisson ne saurait combler. Ce n’est pas une coïncidence si dans les textes sacrés jeûne et prière sont intimement reliés. Jeûner pour se retirer, se retourner lentement vers l’intérieur, refaire le chemin jusqu’au cœur de soi, oser la rencontre du bien-aimé de l’âme dans cet espace où tout est fécondé et fécond. « Il existe en moi plus que moi, quelque chose qui me dépasse, mais qui cependant ne m’est pas étranger » a si justement écrit Éric Emmanuel Schmitt.
Il est toute sorte de jeûne, pour ma part, il m’est venu ce matin de jeûner de ma volonté. Je cède le pas aux doux murmures qui habitent mes silences. Les sages disaient : « Disparaître pour se laisser de la place ».
Manon Rousseau / mars 2017
QUELQUEFOIS, LE SILENCE EST PLUS SAGE QUE LA PAROLE !
Mmmh ! Je n’ai pas de mots… pour dire combien cet article résonne en moi. Ah si, un ! : merci.
Il semble bien que nous soyons reliés mon ami…
Choisir ses mots ou choisir ses maux…
J’ai le dos plein de mots et la tête plein de maux, gang de mofos 😉