Je ne suis pas une herboriste, enfin pas au sens strict du terme puisque je n’ai pas complété la formation, mais je le suis par nature, dans toutes mes fibres, dans mes mémoires, mes rêves, mes impulsions, mes passions, par filiation. C’est un leg, un héritage qui me viennent de loin et dont je ne connais pas les donatrices, mais ce sont des femmes assurément et je les porte avec moi dans tous mes gestes de cueilleuse, de fabriqueuse de potions, de jardinière, de mère, de grand-mère et de guérisseuse.
Je peux ressentir avec facilité ce qu’est la vie dans une abbaye, le silence enveloppant, le bruit des pas qui glissent sur la pierre, la joie qui m’habite lorsque je suis au jardin ou que je chante des louanges, de même, je ressens profondément dans ma chair l’essence de la femme sage, sauvage, qui vit au fond de la forêt, en connaît tous les secrets et sait comment avec les herbes qu’elles cueillent et amassent, donner la vie ou encore la retirer. J’ai aidé des femmes dans cette vie à avorter, à laisser aller les enfants dont elles ne voulaient pas ou qu’elles ne pouvaient rendre à terme et je savais les mots et les gestes pour que ces femmes, jeunes et plus vieilles, puissent le faire dans la dignité. Accoucher ou avorter, ce sont pour moi des gestes de mère d’égale valeur. Il faut beaucoup d’amour pour décider de mettre un terme à une grossesse parce que l’on sait que l’on n’a pas ce qu’il faut affectivement, économiquement pour donner la vie et en prendre soin.
Une nuit, j’ai rêvé, mais ce n’était pas un rêve, c’était une vision, une ouverture, un voyage dans le temps que j’ai porté longtemps en moi par la suite. Parfois le mot rêve est trop faible pour traduire la force de ce qui se produit et vient à la conscience. Donc j’ai rêvé d’un temps lointain où en secret, j’aidais les femmes à choisir ce qu’elle voulait, poursuivre leur grossesse ou avorter et je leur fournissais les plantes pour suivre l’élan de leur cœur. Bien évidemment, on m’a mise au bûcher pour cela. Je n’en étais aucunement surprise, je savais ce que je risquais. Dans ce rêve / vision, J’ai ressenti avec tant de force les flammes, leur brûlure et le désespoir d’une vie perdue. Parfois dans les muscles de mes épaules, je peux encore ressentir la brûlure. Un temps, des médecins l’ont appelé « fibromyalgie » et ont voulu me soigner avec véhémence et de nombreux médicaments. Je me suis sauvée et j’ai fait ce que je sais faire de mieux, je suis retourné à mes livres, j’ai trouvé les plantes qui soignent et je me suis concoctée des potions. Aujourd’hui ce feu me brûle encore un peu, quoique de moins en moins. La vie, les plantes ont apaisé le feu et je suis de plus en plus en paix avec mon histoire dans son entièreté.
Je ne sais pas si la réincarnation existe et ça m’intéresse peu de rationaliser ou de théoriser là-dessus, mais ce que je sais avec certitude, c’est que ce qui m’habite est bien réel. Plus le temps passe, plus l’amour des plantes me porte, leur beauté, la nature et plus j’assume la guérisseuse, la chercheuse que je suis. Je souhaite apaiser, prévenir, soigner et guérir certes, mais plus encore, reprendre du pouvoir sur ma santé, mes choix et ma vie et le redonner à quiconque cherche à le reprendre.
Les plantes m’ont offert tout cela, beauté, apaisement, guérison, pouvoir car plutôt que de me rendre dépendante d’elles, elles m’ont conduit sur mes propres chemins de guérison. Elles ont apaisé mon cœur lorsqu’il battait trop fort et adouci le voyage au cœur de mes noirceurs, sans l’interrompre, le juguler, l’empêcher. Elles ont accompagné tous mes passages. Je me considère chanceuse d’avoir fait leur rencontre dans cette société qui nous médicalise de la naissance à la mort ou sans Jean Coutu, il n’y a point de salut ! Avant il fallait être mort pour donner son corps à la science. Aujourd’hui nous y consentons tous les jours.
Lorsque j’étais jeune, dans la vingtaine, des femmes sages, porteuses de médecine très puissante et aussi ancienne que les femmes elles-mêmes m’ont accompagnées pour mettre au monde mes enfants. Elles m’ont enseigné à respirer, à ouvrir le passage pour laisser passer la vie. Elles m’ont transmis leur savoir sur les plantes qui ouvrent le chemin et donnent du courage et de la force, autant à la mère qu’à l’enfant. Elles nous ont laissé tout l’espace à mon compagnon et moi, pour ouvrir le chemin et traverser les grandes vagues. Lorsque mes enfants sont nés, je me suis sentie très puissante, j’avais traversé les grandes déferlantes sans être submergée et sans être coupée de la douleur. En médicalisant l’accouchement, on vole aux femmes et aux hommes qui ouvrent le passage avec elles, un moment de grande puissance. Cette puissance-là pour une nouvelle mère est très importante. C’est une ouverture, une porte sur tous les possibles et la capacité d’y faire face.
Aujourd’hui 70% des femmes qui accouchent au Québec vont prendre de 1 à 3 médicaments durant l’accouchement. Idem pour la déprime. Un adulte sur deux au Québec, va prendre des antidépresseurs. Où est la place des larmes, de la colère, de la douleur et du désespoir dans nos sociétés? On contient nos chaleurs, nos tristesses qui durent, nos revirements, nos chavirements. On évite le noir, les élans intérieurs qui cherchent à jaillir. On tue nos immensités, nos intensités, nos quêtes de sens et d’illumination. On tente de rester petit. Tout nous maintiens dans le petit homme…
Je rencontre souvent des jeunes dans le cadre de mon travail que l’on dit souffrants, marginaux, ils me racontent leur soif d’intensité, propre à la jeunesse, des jeunes qui sont dans un passage qui les bouleverse et les bouscule et qui cherchent l’expansion dans un monde en contraction. Je trouve qu’il est bien difficile d’être jeunes actuellement dans ce monde où tout est désacralisé, médicamenté, banalisé. Je parle des jeunes mais j’inclus les vieux, les femmes en ménopauses, les souffrants, les épuisés, enfin tous ceux qui traversent un passage et qui sont en manque de passeurs, car ils font cruellement défaut en Occident.
Vivement les passeurs, les guérisseurs, ceux qui accueillent, accompagnent et aident à donner du sens à tout ce qui vit, palpite et cherche un chemin pour exister…
Très chère belle soeur (tu permets que je t’appelle ainsi?)
Je souffre d’un déficit de transfert de sérotonine héréditaire. J’ai le privilège d’avoir accès aux antidépresseurs, ce qui a changé ma vie pour le mieux. Je me désole que d’autres de mes proches ne s’en sont pas prévalu car peut vie aurait été peut-être moins misérable. C’est vrai qu’ils sont surprescrits mais ils m’assurent une qualité de vie comme le ferait l’insuline si j’étais diabétique.
Tendrement.x
Karmina
Je ne suis pas contre la médication, elle m’a sauvé la vie un jour de pneumonie, je suis contre ce qui nous garde petite, enchaînée, coupée de nos profondeurs qui cherchent un chemin pour nous ramener au centre de nous. Si cette médication te rends ta liberté et fait de toi une meilleure personne, c’est merveilleux…