« Écrire est le dessein d’une plume qui ose rendre visible, ce qui, l’instant d’avant, était en l’air puis en esprit. » Maryvonne Piétri
D’aussi loin que je me souvienne, il est là, j’ai toujours été habité par sa présence. Un de mes premiers souvenirs me vient du haut de mes 6 ans : la tête dans les mains, seule dans ma chambre, je pleure et tente de répondre à une trop grande question pour l’enfant que je suis. Je la lui pose, simplement, certaine d’une réponse à venir. J’ai de la chance, une multitude de personnes affectueuses, tendres et clémentes, sont passées dans ma vie d’enfant à des moments déterminants. Oncles, tantes, professeures, cousines, vieil oncle missionnaire, des êtres dont l’aimante présence envers les enfants témoignaient de l’infini amour. J’ai aussi reçu en cadeau une sensibilité particulière qui me rend très réceptive à la prodigieuse beauté présente en ce monde. « Il n’y a rien qui fait son chemin plus directement à l’âme que la beauté » a dit avec justesse Joseph Addisson. J’ai toujours reçu la beauté et la bonté comme partie intégrante du vocabulaire de l’amour.
D’aussi loin que je me souvienne, j’aime la fréquentation de Dieu. Ce n’est pas faute de lui avoir résisté; mais il a sans cesse refait les premiers pas et dix fois plutôt qu’une, avant que je ne lui ouvre définitivement la porte.
Cependant, un moment en particulier est venu sceller notre alliance. Je suis alors dans la jeune trentaine, j’ai traversé l’adolescence et la vingtaine avec juste ce qu’il faut d’assurance, de détermination et de suffisance, pour croire que c’est par mes seuls talents, ma force et ma volonté que les choses adviennent. Or, jeune travailleuse sociale, je viens de perdre un emploi que j’aimais, je suis en voyage, loin des miens et de ce qui me sécurise. Après des jours et des nuits d’angoisse, je me retrouve au beau milieu de la nuit, sous la voûte étoilée, à genoux, humble et sans armure, à le prier avec ferveur. Vide de moi, je suis prête à tout accueillir. J’ai levé les yeux au ciel et dans une supplique, lui ai murmuré à peu près ceci : « Me voici, qu’attends-tu de moi, tu m’as donné des dons, des talents, des élans, tu m’as créé, redonne du sens à ma vie, je me mets à ton service ».
En l’écrivant, je suis de nouveau émue et mesure combien cet évènement fut déterminant. « Demandez et vous recevrez, frappez et l’on vous ouvrira » demeure une parole vivante en moi à jamais, car dès mon retour, tout s’est mis en place avec une facilité déconcertante. Sans effort, ni recherche, j’ai été appelé à créer et à diriger un OBNL pour les jeunes et les familles dans un quartier défavorisé et ce travail me comble et donne du sens à ma vie et à tout un quartier depuis plus de 30 ans. Des personnes de foi m’ont rejointes ou se sont retrouvées sur mon chemin, j’ai été soutenue, guidée, secondée et cette œuvre, cocréée avec Dieu, a toujours reçu tout ce qui lui était nécessaire, et plus encore, pour se déployer. Ainsi, j’ai repris la conversation que j’avais interrompue avec lui.
J’aime l’infinie délicatesse avec laquelle Dieu se manifeste à nous. J’ai gravé en mémoire quelques-uns de ces clins d’œil espiègles qui me ravissent à tout coup.
Celui-ci en témoigne : nouvellement arrivée en poste, je suis surchargée de travail et avec le peu d’expérience que j’ai, je me sens dépassée et seule devant la somme de tâches à accomplir. Or, une personne cogne à ma porte, je ne suis pas très réceptive, car les personnes qui viennent à ma rencontre sont généralement en besoin. Une dame âgée, couronnée de gris et de bonté, qui s’avère être une religieuse, s’est déplacée pour me souhaiter la bienvenue. Elle s’enquiert de mon état, écoute ma réponse avec attention, me prend la main, me demande de fermer les yeux et me souffle ces paroles à l’oreille : « Manon, tu as du prix à mes yeux, tu as de la valeur et je t’aime; ne crains pas, car où que tu sois j’y suis avec toi. Tu peux traverser le feu, il ne te brûlera pas, tu peux traverser les grandes eaux, elles ne te submergeront pas, car où tu sois j’y suis avec toi, car tu as du prix à mes yeux, tu as de la valeur et je t’aime ».
Elle dépose, au creux de ma main ouverte, une carte avec l’image du Christ sur laquelle est inscrite ce texte d’Ésaïe, puis me rappelle que je ne suis pas seule à porter cette mission, m’embrasse chaleureusement et s’en retourne. Je n’oublierai jamais cette rencontre et cette parole d’Ésaïe si pleine d’une confiante certitude d’être aimée et en sécurité, quelle que soit la situation. Cette brève rencontre fut un baume et un moment de grâce qui m’a infusé de la douceur et de l’amour dont je suis à la fois le réceptacle et la source…
Peu importe l’élément déclencheur, une seule goutte fait déborder le vase, le mental cède sa place à plus vaste, le voile se soulève et l’expérience de Dieu s’ancre dans nos cœurs. Ces moments de rencontre, de plénitude où des pans de mystère se dévoilent, sont fugaces; pourtant ils permettent de se détendre dans les bras de la présence, d’accueillir les moments de doute, de peurs et d’obscurité avec plus de confiance, d’abandon et de liberté intérieure. Comme le dit Yves Girard dans le très beau livre Naître à ta lumière (1) : « Aussi court soit-il, ce frémissement ne s’efface plus. Quelque chose a été éveillé en toi et ne consentira plus jamais à se rendormir ».
Oser une parole de foi
« L’esprit s’enrichit de ce qu’il reçoit, le cœur de ce qu’il donne ». Victor Hugo
Je considère cette opportunité qui m’est offerte par Les éditions Novalis, d’écrire un texte sur cette présence de Dieu dans ma vie, est également l’un de ses clin d’œil. Au fil du temps, devant l’abondance de présents qui me sont accordés, me vient de plus en plus le besoin d’en témoigner. Ce n’est pas qu’il m’est difficile de faire preuve de discrétion et de retenue, j’aime la pudeur qui vient avec l’amour; mais c’est comme être devant l’immensité de l’océan, touché et pacifié par la beauté et le sublime et ne trouver que si peu de lieux ou le partager. L’amour souffre s’il ne se donne pas. Il nous a fait ainsi.
À qui dire combien les prières, les rituels qui me mènent à lui m’enchantent ? Comment le silence et la beauté des églises sont des chrysalides, des lieux qui nous permettent d’habiter cet état intermédiaire, où de chenilles nous devenons papillons ? Comment dire la force d’amour de Jésus au cœur de nos détresses et de nos doutes, la puissance de textes et d’actions d’hommes et de femmes engagés, qui conduisent à plus de joie et de quiétude ?
De François d’Assises, le doux et humble à Anthony De Mello (2), un mystique né en Inde, psychologue et jésuite, qui nous rappelle que tout passe. À une spiritualité centrée sur le don et l’amour, aux psaumes si poétiques que de les chanter emmène une transe tranquille, à des vies de mystiques dont le souffle nous inspire encore aujourd’hui.
Au fond, il ne me manque rien, si ce n’est d’oser nommer cette intimité et ce penchant que j’ai pour cet incommensurable fou d’amour qu’est le Christ. D’autant que nous partageons une parenté lui et moi, il n’a qu’une seule exigence qui m’est intrinsèque, c’est d’aimer jusqu’au bout, en excès, résorbant les conflits, apportant la paix. C’est un révolutionnaire sans arme qui nous invite à l’essentiel, ouvrir nos cœurs, nos demeures, sortir de nos enfermements, être attentif aux autres, cultiver la confiance, l’émerveillement, la patience, la douceur, le pardon, la joie, pour briser le joug de la haine, du mépris, de la peur, du rejet de l’autre, des préjugés, finalement de tout ce qui endigue et freine nos élans d’amour. J’écris tout cela avec modestie, parce que plus je tente de pratiquer ses enseignements, plus m’apparaissent les murs que j’ai dressés, mes propres enfermements et les difficultés de passer de la peur à l’ouverture à l’amour. Qui plus est, je ne me trouve pas particulièrement douéepour aimer, ce qui au fond n’a aucune importance, puisque l’intention portée est à l’œuvre et fait déjà le travail. Comme l’a dit si justement Christian Bobin (3), « Partout où l’on va, il y est allé aussi. Il a tout expérimenté, éprouvé, dans sa chair, dans sa joie, dans son angoisse, dans toutes les dimensions de la vie. Avec lui, la mort n’a pas le dernier mot ».
En vieillissant, ma sensibilité et mon inclinaison vers lui se sont accrues. Ainsi, la moindre fleur des champs, la douceur du vent, la bonté, la douleur, la souffrance, le malaise, l’attention d’une présence aimante, la richesse d’une amitié authentique, tout vient à mon secours et concourt à me rappeler que tout est amour en ce monde. Par conséquent, tout me ramène à lui, source de vie, source d’amour.
Manon Rousseau / février 2021
Sources